Je suis particulièrement ému et fier de m’exprimer aujourd’hui devant vous dans l’auditorium du musée du Louvre, à Paris. Je suis ici parce que ce lieu revêt une symbolique forte. À quelques pas d’ici, les Grands Magasins du Louvre ont accueilli, en partenariat avec le Val-de-Grâce, les blessés de la Grande Guerre. Cet hommage à ceux qui ont souffert pour notre Nation me tient particulièrement à cœur.
La résilience est une notion mal comprise mais qui est essentielle. Pendant ce terrible conflit, ce concept de résilience était peu connu, encore moins médiatisé, hormis pour quelques initiés. Si le mot fait partie de notre quotidien, à force d’usage, il est parfois mal compris, voire galvaudé.
Le New York Times Magazine dénonçait récemment dans un essai intitulé Le vide profond de la résilience l’utilisation abusive du terme. Il y voyait une forme de passivité, de résignation. Pourtant, la résilience, c’est tout sauf de l’inaction. C’est une force, un mouvement, une dynamique.
Une définition éclairée nous est donnée par l’étymologie mais aussi par l’histoire. Résilience vient du latin resilire, qui signifie « rebondir » ou « monter à nouveau ». En physique des matériaux, elle désigne la capacité d’un objet à retrouver sa forme après un choc. Appliquée à l’humain, elle devient la faculté de surmonter les épreuves traumatiques et de se reconstruire.
L’histoire de ce mot illustre son évolution. De Francis Bacon à Sigmund Freud, puis aux chercheurs français comme Boris Cyrulnik, la résilience a pris une dimension humaine essentielle : « La résilience est l’art de naviguer dans les torrents. » (Le Monde de l’éducation, mai 2001).
Cette vision souligne un point crucial : après un choc, on ne revient jamais tout à fait à l’état initial, mais on peut devenir plus fort, plus lucide, et surtout plus armé pour l’avenir.
La résilience doit être une compétence clé pour les forces de l’ordre, je dirai même une nécessité vitale. Ces hommes et femmes sont exposés à des stress intenses, des agressions verbales ou physiques, et parfois à des traumatismes profonds. Les crises récentes – manifestations des Gilets jaunes ou profanation de l’Arc de Triomphe – en sont des exemples frappants.
Face à ces défis, il est indispensable de les préparer préventivement à gérer ces situations. C’est déjà à l’école de Police que la résilience doit être enseignée. Elle doit être présentée comme une armure mentale leur permettant de résister dans les meilleures conditions aux chocs émotionnels, tout en gardant son efficacité.
Il est tout aussi important de les accompagner dans la reconstruction car la résilience ne se limite pas à la seule prévention. La postvention en fait un excellent outil de reconstruction. Les psychologues, les médecins institutionnels et les sentinelles de police jouent ici un rôle fondamental.
Leur mission est d’aider à surmonter le sentiment d’isolement, à dissiper les souffrances et à redonner une direction à ceux qui vacillent. Cette aide est cruciale : elle permet non seulement de rétablir un équilibre, mais aussi d’offrir un nouvel élan.
Se former et se préparer à la résilience face aux situations d’exposition à la violence
Pour un agent des forces de l’ordre, la résilience s’acquiert à travers une formation structurée, basée sur trois axes essentiels :
1. Avant l’action : l’évaluation et la préparation personnelles
Avant même de s’engager, le futur agent doit effectuer une introspection profonde sur ses capacités physiques, morales et psychologiques.
Prendre conscience de soi : Cette étape implique une évaluation honnête de ses forces et faiblesses. Cela permet d’aligner ses valeurs intrinsèques avec les exigences du métier, notamment en Maintien de l’ordre.
Accepter la réalité : La vocation seule ne suffit pas toujours. C’est souvent la motivation, nourrie par une détermination acquise, qui pousse à persévérer. La jeunesse, en particulier, attend un langage de vérité sur les défis du métier.
Se confronter au réel : Dès le départ, il est crucial d’exposer les jeunes recrues à la dure réalité des missions, afin qu’ils soient préparés à naviguer dans des environnements instables et imprévisibles.
La préparation initiale est donc un véritable processus de connaissance de soi et une initiation à la résilience.
2. Pendant l’action : entraînement et adaptation
L’entraînement est le pilier central de la résilience. Il va bien au-delà de la simple préparation physique et intègre une dimension psychologique et émotionnelle.
Développer des compétences globales : L’entraînement doit prendre en compte l’unité corps-esprit-âme, en enseignant à l’individu à rester centré et adaptable dans des situations chaotiques.
Se familiariser avec le matériel et les outils : La maîtrise parfaite des équipements avant leur utilisation sur le terrain est indispensable pour une réponse efficace.
Expositions progressives au stress :
Physique : S’habituer à des efforts intenses et répétés pour renforcer l’endurance.
Psychique : Confronter les recrues à des zones d’inconfort émotionnel, comme la peur ou la violence. Cela leur permet de mieux anticiper leurs réactions face à des agressions ou des misères sociales.
Émotionnel : Apprendre à identifier et gérer ses émotions pour éviter l’encagement émotionnel, qui pourrait mener à l’inaction ou à des erreurs graves en opération.
L’objectif est de transformer ces expériences en compétences pratiques pour rester ancré dans l’« ici et maintenant », seule réalité pertinente en Maintien de l’ordre.
3. Après l’action : accepter et intégrer la réalité du métier
La résilience ne s’arrête pas à la mission. Il est vital d’aider les agents à comprendre et accepter les contraintes réelles de leur profession.
La vie d’agent : Les horaires décalés, les rappels en congé, et les sous-effectifs sont des aspects parfois négligés dans l’idéalisation initiale du métier.
Prévenir l’usure psychologique : En apprenant à réintégrer leurs expériences, les agents peuvent éviter de sombrer dans un sentiment d’échec ou d’impuissance.
Renforcer le collectif : Une bonne préparation physique et mentale favorise l’esprit d’équipe, indispensable pour répondre efficacement aux ordres dans des situations complexes.
Former un agent des forces de l’ordre à la résilience, c’est l’aider à se préparer à l’imprévu, à affronter la violence sans perdre ses repères, et à évoluer dans un cadre parfois chaotique. En respectant ces trois axes — préparation personnelle, entraînement intensif, et intégration réaliste —, nous donnons aux recrues les outils nécessaires pour exceller tout en protégeant leur équilibre mental et émotionnel.
Ainsi, la résilience devient non seulement une compétence, mais un véritable mode de vie professionnel, garant de leur efficacité et de leur bien-être. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin d’un véritable engagement envers la résilience comme une compétence à cultiver et à transmettre.
Dr Gérard CHAPUT
Président Les Sentinelles de la Nation
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