Chapitre 2
Le bruit - I
Ca ne s’arrête plus. Nous avons rempli notre mission avec succès, mais ça ne s’arrête plus. Je revis continuellement ces scènes insupportables. Je suis incapable de mesurer la violence de ce qui s’est passé pendant ces quinze jours de mission, mais je le ressens à l’intérieur de moi.
Mon corps continue à me faire faux bond : eczéma et vomissements ne font que s’accentuer à chaque fois que mon esprit rejoue la scène. Plus que ça, mon corps n’est plus capable de faire des choses qui étaient pourtant acquises : mes tentatives d’aller courir se limitent à quelques centaines de mètres. Les bons jours... Mes jambes ne me portent plus, mon cœur s’emballe rapidement et mon mental ne suffit pas à avancer. Pourtant, Dieu sait que j’en avais, du mental. « T’es vraiment un putain de chien de casse ! » me disait régulièrement un ami. Je ne connaissais pas cette expression, alors il m’a expliqué : « Tu sais, ces chiens quasi sauvages qui défendent les casses auto. Tu peux rentrer avec ce que tu veux, ils vont venir au contact peu importe si ça risque de leur faire mal. »
Mais mon mental ne suffit plus. Parce que mon corps est abattu par ces symptômes et parce que mon esprit reste obnubilé par ce qui vient de se passer.
Et la violence ne fait que continuer ; la mission a fait du bruit. Beaucoup de bruit. Et ce bruit contraste avec le silence qui nous accompagnait pendant la durée de notre mission. Nous étions comme dans une bulle, enfermés avec la violence et ceux qui en étaient victimes. Pas de téléphone, pas de mail, pas de radio, de télé, … Maintenant, le retour au monde est brutal. Nous avons rendu notre rapport à notre autorité, rapport qui restera confidentiel et permettra donc à chacun de fantasmer ce qui lui plaît. Et de ces fantasmes naissent les critiques : « Pourquoi comme ça ? Pourquoi eux et pas d’autres ? Est-ce qu’on est sûr qu’ils ont fait correctement ? Est-ce qu’on est sûr qu’ils n’ont pas caché des trucs ? »…
Les moins agressifs se questionnent et nous questionnent pour savoir. Pas pour savoir comment on va. Le même ami cité plus haut est le seul à s’être inquiété de la façon dont j’avais vécu les choses. Non, les autres questions sont beaucoup moins nobles… Curiosité morbide à la recherche de détails plus sordides les uns que les autres. Inquiétude quant à de possibles répercussions sur leur petite personne.
Moi, je n’ai qu’une option : le silence. C’est le jeu de la confidentialité. Mais là, c’est différent. Différent parce que je vois bien que les rumeurs et les fantasmes vont ajouter de la souffrance là où il y en a déjà assez. Et surtout parce que toute cette violence intérieure que je vis à chaque instant ne demande qu’à sortir. J’ai envie de hurler, de péter les gueules de tous ces connards qui savent mieux. Envie de me péter la gueule à moi-même, parce que mon corps et mon esprit sont dans un état pitoyable alors que ce sont les victimes que j’ai aidées qui ont subi. Moi, je sais pertinemment que je n’ai aucune raison d’être dans cet état mais mon esprit et mon corps, eux, voient les choses autrement.
Ils me trahissent et je les déteste pour ça.
À suivre...